La maîtrise paramédicale des prises en charge postopératoires et la bonne connaissance des complications en lien avec chaque acte chirurgical doit permettre de proposer un niveau optimal de sécurité aux opérés.
L’expérience professionnelle participe à la montée en compétences, mais n’est pas toujours suffisante pour acquérir de nouvelles aptitudes. La formation y participe ainsi que la production de procédures comme aides cognitives.
Mme H. présente un goître thyroïdien suivi depuis plusieurs mois par son médecin traitant. Le bilan thyroïdien reste normal et la dernière échographie retrouve "une multiplicité de lésions nodulaires au sein du goître, toutes intriquées les unes aux autres, indénombrables avec certitude, toute surveillance échographique fiable à long terme ne pouvant être qu’illusoire". Par ailleurs, la patiente décrit une gêne au niveau de l’axe trachéal très vraisemblablement en rapport avec ce goître.
Elle est alors orientée vers un chirurgien spécialisé pour évaluer l’indication d’une thyroïdectomie totale. Le chirurgien en valide le principe, donne les informations en lien avec cette intervention et oriente la patiente vers son confrère anesthésiste pour la consultation pré-anesthésique. Cette dernière ne retrouve aucune contre-indication à la réalisation d’une anesthésie générale ; la patiente est prévenue d’une possible intubation difficile en lien avec le goître, mais le praticien précise que cette situation est anticipée et que les équipements pour palier à cette difficulté sont présents au sein du bloc opératoire. Une hospitalisation conventionnelle est retenue, avec une nuit à l’hôpital car la patiente ne peut avoir une personne tierce avec elle le soir de l’intervention.
L’intervention chirurgicale se déroule sans difficulté le jour prévu, et dans la continuité de l’acte, la patiente est transférée en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) vers 16 h.
Durant cette surveillance, les différentes constantes investiguées ne relèvent aucune anomalie particulière, hormis un léger saignement observé sur le pansement protégeant la cicatrice. Ce saignement est marqué sur le pansement pour surveiller son évolution. La patiente ne signale aucune difficulté pour respirer : elle est sereine, et signale une douleur supportable cotée à 2/10.
Sa sortie de SSPI est validée par le médecin anesthésiste et elle regagne le secteur d’hospitalisation ou elle est installée dans sa chambre vers 17 h 30.
Lors de son tour de soins de début de nuit, l’infirmière (IDE) note dans les transmissions vers 21 h, que la patiente est angoissée, explique qu’elle a peur "de faire un hématome", complication décrite par le chirurgien lors des informations données lors de la consultation. Les constantes ne présentent pas d’anormalité, et les traces de sang sur le pansement ont un peu augmenté, mais sans plus…
À 23 h 30, la patiente appelle car elle ne sent pas bien, les constantes montrent une tension artérielle à 85 mn de Hg de systolique, un pouls à 85 bpm et une saturation en oxygène à 95 %, elle est normotherme, Elle dit qu’elle a du mal à respirer, mais l’IDE la rassure en lui précisant que sa saturation est bonne.
Appel du médecin anesthésiste (MAR) de garde qui prescrit à distance la pose d’une poche d’hydroxyéthylamidon de 500 ml – soluté de remplissage – la tension artérielle remonte à 120 mn de Hg.
À 1 h 15, la patiente appelle de nouveau car elle a l’impression que son cœur bat vite et qu’elle a des difficultés à respirer – la fréquence cardiaque retrouve 125 bpm et la saturation en oxygène est à 82 %. Le médecin anesthésiste est appelé, ce dernier annonce son arrivée rapide.
L’IDE de nuit demande à sa collègue d’approcher le chariot d’urgence, elle pose un masque à oxygène et règle un débit à 6 l/mn ; la saturation en oxygène remonte péniblement à 90 %.
Le MAR, a son arrivée, demande l’injection de 80 mg de Solumédrol® car il pense en première intention à un œdème laryngé.
Il examine ensuite le cou de la patiente et découvre un cou gonflé. Il enlève le pansement et demande à l’IDE de lui trouver une pince ôte-agrafe qui devait être en chambre et demande à l’aide-soignante de contacter le chirurgien pour lui dire que la patiente présente un hématome compressif et il appelle l’infirmière anesthésiste de garde pour lui demander de venir avec un plateau de drogues anesthésiques afin de réaliser une anesthésie générale et du propofol en quantité suffisante pour l’entretien potentiel d’une narcose.
Il enlève plusieurs agrafes après avoir expliqué à la patiente ce qui se passait et précise qu’il va essayer d’évacuer une partie de l’hématome qui doit comprimer la trachée pour qu’elle puisse respirer plus aisément.
Devant l’absence de résultat satisfaisant, la patiente est transférée au bloc opératoire. Elle bénéficie d’une nouvelle anesthésie générale, le chirurgien arrive et réalise la reprise chirurgicale qui permettra l’évacuation d’un volumineux hématome de sang cailloté occupant toute la loge thyroïdienne ; le contrôle de l’hémostase ne retrouvera pas de saignement majeur, il pose plusieurs drains de redons.
La patiente se réveillera en unité de surveillance continue, où elle passera 2 jours avant de retourner en secteur d’hospitalisation conventionnelle.
Les suites de la reprise chirurgicale permettront un retour à domicile au 6e jour après la thyroïdectomie.
Cette complication postopératoire a engagé le pronostic vital de la patiente, et cet événement indésirable (EI) est considéré comme Grave (EIG). Les conséquences pour la patiente :
Le questionnement du MAR sur le contexte de l’événement indésirable :
Les suites de cette complication sont restées simples, mais les conséquences auraient pu être gravissimes si cette complication avait été prise en charge plus tardivement.
Devant ces éléments, la Direction Générale valide le principe d’une analyse de cet EIG lors de la revue hebdomadaire des événements indésirables. Elle demande au médecin chargé de la gestion des risques de la structure de soins de l’organiser.
L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.
Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.
Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé (médico-soignants et administratifs) qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents tracés dans le dossier patient informatisé.
C’est le MAR qui a détecté la complication et qui a mis en route les premières mesures conservatoires.
Partant de cette analyse, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Les organisations établies peuvent être mises en difficulté par un déficit de compétences. Ce constat se pose pour tous types d’organisation et doit, chaque fois qu’il est rencontré, permettre la mise en place de barrières de sécurité adaptées.
Les solutions envisagées :
Une réflexion sur l’architecture du système d’information est initiée :
Les pistes retenues :
Le développement de la chirurgie ambulatoire et de la récupération rapide après chirurgie en hospitalisation conventionnelle diminue de fait le nombre de lits dans les secteurs de chirurgie au sein des établissement de santé.
Ce constat oblige les structures de soins à repenser les organisations et surtout à regrouper les spécialités chirurgicales. Les équipes paramédicales doivent de fait développer leurs compétences pour réaliser des prises en charge postopératoires optimales.
Le management hospitalier doit prendre en compte cette nouvelle donne pour fiabiliser les prises en charge des malades.
Pour aller plus loin
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